Solarpunk, lorsque le vivant et l’innovation intègrent les décisions
Dylan Field, CEO de Figma, a donné une interview au SXSW 2024 — un festival de musique, cinéma et médias interactifs — où il a partagé sa vision du design pour le futur en mettant en lumière un mouvement intéressant : le Solarpunk. Ce mouvement propose une perspective moins anxiogène et beaucoup plus positive pour façonner un monde où le vivant et la durabilité sont au coeur de chaque innovation.
En somme, cela résonne plutôt comme des principes réalisables, sans être dans une utopie farfelue. Après plusieurs recherches, ce mouvement est même plutôt… à portée de main. Mais alors, comment pourrait-il être astucieux d’intégrer quelques-uns des principes Solarpunk dans le design ?
Pourquoi “punk” ?
Les prémices du Solarpunk seraient apparues en 2008, notamment dans un article du blog Republic of Bees où il fait écho avec l’apparition du Beluga Skysail, un bateau cargo révolutionnaire économisant jusqu’à 20% de carburant grâce à une voile innovante. Puis, initié comme un dérivé réaliste du mouvement Steampunk, le Solarpunk a gagné en popularité grâce à des penseurs sud-américains et sud-africains qui ont proposé une vision où des actions réfléchies en harmonie avec l’environnement façonneraient un avenir positif.
En 2019, le manifeste de la communauté Solarpunk a formalisé les principes fondamentaux du mouvement.
Solarpunk est à la fois une vision du futur, une provocation réfléchie, une façon de vivre et un ensemble de propositions réalisables pour y arriver. - Introduction aux principes “The Solarpunk Manifesto”
Misant sur l’innovation intelligente et durable, l’autonomie des individus et la place importante apportée au vivant dans les actions et les pensées, Solarpunk offre une alternative à la dystopie Cyberpunk, dont ce dernier présente une vision d’une société fataliste déchirée par une technologie surconsommée, au bord de la catastrophe environnementale, dirigée par de grandes entreprises et où les écarts sociaux se font de plus en plus.
“…trouver un moyen de rendre la vie meilleure, ainsi que pour les générations suivantes.” - The Solarpunk Manifesto
Cette vision positive englobe des changements culturels à des échelles plus importantes comme l'agro-écologie, l'urbanisme durable ou les communautés d'énergies renouvelables. Les technologies ne sont jamais exclues, bien au contraire. Elles sont intégrées de manière réfléchie, visant à rendre les individus plus autonomes, jusqu'à préférer l'idée de citoyens et de communautés intelligents à celle de “villes intelligentes”.
Aujourd’hui, ce mouvement gagne progressivement en visibilité à travers divers médias tels que l’art, l’architecture, la littérature, la mode, la musique, les jeux de société et les jeux vidéo, mettant en scène des villes modernes où la nature, l’urbanisme, la technologie et l’humain coexistent harmonieusement. À souligner la différence des utopies habituelles, le Solarpunk n’efface pas les marginaux, il privilégie une diversité bienveillante et transparente où chaque individu à sa place pour le bien-être du vivant.
Un mouvement déjà inscrit dans le paysage
Le Solarpunk s’ancre dans un paysage plus large de mouvements et de courants de pensée qui partagent des objectifs similaires de durabilité, d’inclusion et d’innovation.
L’écoconception à une approche visant à réduire l’impact environnemental des produits tout au long de leur cycle de vie, la recherche de solutions innovantes et durables, l’encouragement à utiliser des pratiques de fabrication respectueuses de l’environnement. Le mouvement guide d’ailleurs fortement l’approche des sites actuels en limitant les médias utilisés, en calculant l’impact CO2 de chaque page et en privilégiant des solutions d’hébergement durable.
La Slow Life, ou Slow Mouvement, qui encourage à une réduction du rythme effréné de la vie moderne et une réévaluation des priorités, mettant l’accent sur la qualité du bien-être plutôt que sur la quantité d’activités. Cela résonne avec le mouvement Solarpunk dans son approche plus réfléchie de la technologie et de la consommation.
Le Regenerative Design qui vise une approche où les systèmes et les processus restaurent et renforcent les écosystèmes favorisant la santé et la résilience de l’environnement. Ce mouvement partage également la même vision positive de créer des solutions qui bénéficient à la fois aux êtres humains et à l’environnement.
Le New Pedestrianism, ou New Urbanism, ont des préoccupations communes pour la durabilité des environnements urbains. Il vise à réduire la dépendance aux voitures en favorisant la marche, le vélo et les transports en commun proposant la réduction d’émissions de carbone afin d’améliorer la qualité de l’air. Mais ce n’est pas tout, le New Pedestrianism tout comme le Solarpunk aspire à créer des quartiers répondant aux besoins humains où il est agréable et sûr d’y vivre, travailler et se divertir tout en favorisant la convivialité entre les communautés.
Comment les designers peuvent s’inspirer de ce mouvement ?
Le mouvement Solarpunk est décrit comme un processus actif devant s’adapter aux changements en plaçant le vivant — incluant nous, êtres humains — au coeur des décisions, quelques-uns de ces principes peuvent servir de source d’inspiration dans la conception de produits numériques.
Harmonie entre technologie et vivant
Dans le concept, la technologie est au service du vivant, agissant comme soutien plutôt qu’une force de contrôle. Elle est utilisée comme un échafaudage, une base éphémère ou ponctuelle qui permet au vivant de se développer. La technologie peut remplacer certaines actions, mais ce dans le but d’accompagner l’utilisateur et le vivant à l’autonomie grâce à une optimisation utile et bienveillante.
Réduire et ralentir l’expérience à l’échelle humaine et locale
En adoptant une approche similaire au concept de “Pace Layering” ou de “Slow Life”, les designers sont invités à concevoir des produits s’intégrant dans le quotidien des utilisateurs avec une approche allant au rythme de ces derniers.
Ainsi, en allant à un rythme de vie plus lent et plus humain, concevoir une expérience utilisateur s’avère plus réfléchi, mettant l’accent sur la qualité du produit plutôt que sur la quantité.
Par exemple, au lieu de créer des applications axées sur la productivité et la consommation rapide d’informations, les designers pourraient concevoir des outils encourageant les connexions interpersonnelles, la contemplation et la prise de conscience.
L’approche ne vise pas nécessairement à limiter la croissance économique, mais plutôt de réorienter les priorités et les objectifs de l’entreprise vers des valeurs plus holistiques et durables. Cela peut impliquer un changement de perspective sur ce que signifie réellement le succès d’une entreprise et comment il est mesuré. Cela pourrait signifier que les entreprises adoptent des modèles économiques plus circulaires et collaboratifs, où la création de valeur est définie non seulement en termes financiers, mais aussi en termes d’impact positif sur les employés, la société et l’environnement.
Repenser le paysage social
Le mouvement met l’accent sur l’intégration du vivant au coeur des processus de design. Ainsi, les produits numériques et les designers peuvent jouer un rôle crucial dans la construction d’environnements inclusifs et durables. Cela implique de concevoir des produits facilitant la communication, la collaboration et la participation citoyenne au niveau local.
Par exemple, des plateformes encourageant l’échange de connaissance et la résolution collective des problèmes, favorisant bienveillance et inclusion. Les designers pourraient aussi concevoir des produits de visualisation de données sur l’environnement local, informant les habitants tout en les invitant à agir.
Offrir l’autonomie
En explorant une approche multiontologique, les designers remettent en question les normes établies et permettent la découverte de nouvelles voies pour une innovation socialement responsable et durable. Pour ce faire, il est important d’y inclure une diversité de perspectives et de valeurs, en tenant compte des besoins et des aspirations de différentes communautés, cultures et individus.
Par exemple, les designers pourraient collaborer avec des communautés marginalisées pour développer des solutions répondant à leurs besoins spécifiques pour renforcer leur autonomie et leur résilience. Cette approche inclusive et participative, permet aux designers de contribuer à un avenir où l’innovation est un bien commun permettant la durabilité à long terme.
Vers un avenir plus positif
Ainsi, le Solarpunk propose bien plus qu’une vision utopique de l’avenir, il propose un cadre concret pour repenser les méthodes de design et la société dans une optique de durabilité et d’inclusion tout en s’appuyant déjà sur des concepts actuels comme l’écoconception ou le New Pedestrianism.
S’inspirer de ces principes pourrait permettre aux designers de contribuer à façonner un monde bénéfique à l’environnement et à l’humain — un avenir plus lumineux ☀️.